cover rudolf steiner kernpunkte pt Des extraits importants de l'ouvrage de Rudolf Steiner, "Éléments fondamentaux pour la solution du problème social" (GA23) sont publiés en langue française sur le présent site (cliquez ici). 
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La terre démarchandisée

 

À lire dans l'ordre articles n°1 à 14.

Toute personne ayant les compétences nécessaires devrait pouvoir accéder à la terre et la gérer librement en vue de fournir des produits de qualité à la collectivité. Or, c'est par la propriété privée que cette liberté de disposer des moyens de production, à savoir ici la terre, peut être assurée.

 

La libre initiative implique la libre disposition des moyens de production et la propriété privée n'est rien d'autre que le moyen de cette libre disposition (ce que ne permet pas la propriété collective organisée par une administration centrale).

Cependant, si l'utilisation exclusive et illimitée dans le temps d'une terre revient à quelqu'un du fait de l'acquisition de la propriété, un rapport de dépendance pourra s'établir entre le propriétaire qui ne cultive plus la terre et des hommes qui, afin de subvenir à leurs besoins, la loueront ou l'achèteront pour pouvoir la cultiver. En échange, le propriétaire recevra une rente foncière.  L'utilisateur sera en quelque sorte contraint de donner une partie de ses récoltes (sous la forme d'un loyer, d'un intérêt, d'une part de ses revenus, ...) au propriétaire pour avoir le droit de cultiver ces terres. Il y a donc bien un échange entre un droit (l'accès à la terre) et une marchandise (ou de l'argent, contrepartie des marchandises) créant ainsi un rapport de dépendance et faussant de surcroit les prix des denrées agricoles (qui subissent une pression à la hausse). Le régime d'aides agricoles instauré par l'Europe favorise la spéculation foncière en liant les aides au nombre d'hectares dont dispose un agriculteur.

À côté de cette spéculation foncière s'ajoute une urbanisation croissante, ce qui rend l'accès à la terre et aux bâtiments agricoles très difficile, voire impossible, notamment pour des personnes non issues du milieu agricole mais disposant des compétences et de la motivation nécessaires.

Comment cette propriété foncière peut-elle donc être administrée pour qu'elle serve au mieux les intérêts de la collectivité tout en favorisant la liberté d'initiative ?

Dans la vie économique, la terre ne doit plus être traitée comme une marchandise que l'on échange mais doit s'insérer dans la vie sociale par le droit d'utilisation qu'en a l'homme en tant que moyen de production en vue de produire des marchandises. L'accès à la terre (on peut étendre cela aussi aux autres moyens de production agricoles comme les bâtiments, le matériel, ...) suppose donc un rapport juridique devant être réglé en dehors du domaine économique.
Une institution juridique, organisée au sein de l'État, veillera au transfert (mais ne deviendra jamais propriétaire) du droit de propriété de la terre à un individu ayant les facultés nécessaires à sa bonne gestion. Ce droit de propriété n'est pas illimité dans le temps. Il sera en effet retiré et transféré à une autre personne s'il devient préjudiciable à la société et n'est plus au service de la collectivité.


 

Quelques initiatives visant à libérer la terre du circuit marchand…

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Ces dernières années, de nouveaux outils pour aider l'installation de nouveaux producteurs ou pour pérenniser des fermes existantes sont apparus. Ils prennent la forme d'achats collectifs de terres (par exemple, au moyen de la création d'une coopérative à finalité sociale, voir à ce sujet les associations « Terre de Liens » en France et « Terre en vue » en Belgique).

Cependant, dans ces initiatives, le transfert du droit d'usage de la terre (on peut y inclure les bâtiments agricoles) en tant que moyen de production n'est pas totalement libéré de l'influence du circuit économique-marchand pour ne dépendre que des seules dispositions juridiques élaborées au sein de l'État. En effet, les coopérateurs achètent des « parts de terres », représentées par des parts financières au sein de la société coopérative, qu'ils peuvent à l'occasion vendre et dont ils peuvent éventuellement tirer un certain profit (dividende ou ristournes) bien que limité dans certains cas. Le pouvoir économique lié à la possession des actions de la société est toutefois fortement atténué du fait de la souscription des actions par un grand nombre de coopérateurs et de l'application éventuelle du principe « un homme, une voix » au sein de la société coopérative propriétaire des moyens de production.

En Allemagne, existent des associations sans but lucratif (ou des fondations) qui sont propriétaires de domaines agricoles, principalement gérés en agriculture biodynamique. L'association reçoit des dons en argent ou en nature (cela peut aller jusqu'à une ferme entière avec bâtiments et terres) et les donateurs perdent ainsi tout titre de propriété. Une étape supplémentaire dans la « démarchandisation » de la terre et des moyens de production en général est ainsi atteinte.

Le rôle de ces associations sans but lucratif consiste entre autre à :

  • Définir les grandes orientations de la gestion du domaine agricole sous la forme d'une charte, et veiller au suivi de celle-ci via un contrat de coopération avec les agriculteurs définissant les droit et obligations des deux parties.
  • Assurer la continuité de l'activité agricole en veillant au transfert de la gestion du domaine à des personnes compétentes.


En Belgique, une association sans but lucratif de ce genre (ASBL « Chante Terre ») a été créée en 1993 dans la région de Liège afin d'aider un agriculteur à acheter des terres qu'il risquait de perdre.

Des structures combinant association sans but lucratif (apports de dons, garante de la charte, transfert de droits d'usage, ...) et société coopérative foncière peuvent aussi être imaginées. « Terre de lien » en France et « Terre en vue » en Belgique, en consituent un exemple.

Il est à noter que toutes les initiatives mentionnées ci-dessus, constituent des formes transitoires et provisoires d'une évolution tendant au plein développement de la tri-articulation sociale. Dans un organisme social au sein duquel la tri-articulation sociale serait déjà suffisamment comprise et avancée, il ne serait pas nécessaire d'acheter les terres, biens fonciers et moyens de production pour les «libérer» du circuit économique-marchand.

Note : acheter des terres et moyens de production pour pouvoir ensuite en sortir le droit d'usage du circuit marchand est en soi paradoxal, puisque il faut d'abord poser un acte «marchand» pour qu'ils ne soient plus des marchandises.  Une autre conséquence paradoxale réside dans le fait que si de très nombreux achats de terre étaient réalisés par de tels organismes spécialisés pour les «libérer», le prix des terres et biens fonciers en serait d'autant plus augmenté et donc leur valeur (et caractère) marchande augmenterait sur le marché, favorisant encore d'autant plus la spéculation (!).  En outre, il faudrait consommer des capitaux extrêmement considérables pour réaliser de telles opérations de rachat qui n'augmentent en rien la production, ce qui aurait en définitive des effets « anti-sociaux » et «anti-économiques» à large échelle.

Dans un organisme social « tri-articulé », les modalités juridiques du transfert du droit d'usage seraient purement déterminées par voie de droit (ce qui requerrait certaines métamorphoses relatives à l'ancien droit de propriété) et excluraient tout forme de possibilité de transfert par un simple acte d'achat marchand.

 


AVERTISSEMENT : la question sociale est en soit très complexe.  Les concepts de la triarticulation sociale (encore appelée tripartition sociale ou trimembrement* social) constituent un outil pour en saisir l'essentiel, et sur cette base, pour en comprendre les détails et agir localement.  Les divers auteurs des articles publiés sur ce site tentent de les expliciter et d'en proposer des applications pratiques.  Leur compréhension du trimembrement de l'organisme social est susceptible d'évoluer avec le temps.  Les auteurs peuvent évidemment aussi se tromper dans leurs interprétations.  Le risque d'erreur fait partie de toute démarche de recherche! Nous ne pouvons dès lors qu'inviter les lecteurs à prendre connaissance des concepts à leur source, c'est-à-dire dans les ouvrages de base (voir la bibliographie sommaire).
* Trimembrement, tripartition ou triarticulation sociale, sont des synonymes. L'expression "trimembrement de l'organisme social" est celle qui traduit le plus fidèlement l'expression allemande "Dreigliederung des sozialen Organismus"

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