À lire dans l'ordre articles n°1 à 14.
Dans la forme économique capitaliste, le travail humain s'est incorporé à l'organisme social de telle façon que l'employeur l'achète au travailleur, comme une marchandise. Un échange s'établit entre argent (salaire) et travail. Ne parle-t-on pas d'ailleurs d'un marché du travail dans lequel il faut pouvoir se vendre ?
(une expression devenue courante depuis les années 1990 et qui fait pourtant clairement l'éloge de l'esclavage, comme concept qui devrait de toute évidence fonder la relation du travailleur à l'employeur).
Dans les comptes des entreprises, le coût du travail (rémunération) se trouve d'ailleurs comptabilisé dans les charges d'exploitation au même titre que les marchandises. Et il s'agit entre autre de minimiser ces coûts afin de maximiser les profits.
La cause de la marchandisation du travail humain est à chercher dans la nature intrinsèque de l'économie, car tout ce qui y entre reçoit obligatoirement ce caractère de marchandise ayant une certaine valeur. Or, à l'intérieur du circuit économique seules sont échangeables des marchandises, produits de l'activité du travail humain.
La pensée moderne n'a pas appris à séparer deux facteurs tout à fait différents qui s'insèrent dans l'activité économique:
- La capacité, la force de travail qui n'est pas une marchandise mais est liée intimement à l'homme (facultés, talents, dons). Celle-ci nécessite d'être gérée en dehors de la sphère économique.
- Le produit du travail à savoir la marchandise (biens et services) qui, indépendamment de l'homme, suit son chemin de la production à la consommation.
La question est donc de savoir comment on peut faire sortir cette force de travail du processus de l'économie pour qu'elle soit définie par des forces sociales aptes à lui enlever le caractère de marchandise ?
C'est une sphère juridique autonome qui imposera les limites dans lesquels cette force de travail pourra être mise à disposition au sein de l'économie. Cela concerne tout ce que l'on peut inclure aujourd'hui notamment dans le droit du travail : la nature du travail, l'environnement de travail, le temps de travail, le règlement des périodes de maladie et de congés, les normes de sécurité, la formation et la rupture du contrat de travail, le droit à la pension, la quote-part des travailleurs sur les bénéfices de la vente des marchandises déterminant les revenus,... Tout ceci ne devrait plus être définis à partir d'impératifs économiques mais de critères purement juridiques fondés sur la dignité humaine.
De quelle façon et dans quelle mesure, un homme a à travailler pour le maintien de l'organisme social, cela est réglé par le droit sur la base de ses capacités (physiques et intellectuelles) et en tenant compte des conditions d'une existence digne et humaine.
Un tel rapport entre le travail et l'ordre juridique contraindra les associations économiques actives dans la vie économique à compter avec ce qui « est du droit » comme avec une condition préalable de la même manière qu'avec les ressources naturelles.
La question du revenu issu du produit du travail dans le cadre de la relation entre l'employeur et le travailleur
Du fait de la division du travail, un individu isolé ne couvre pas tous ses besoins par son travail. Chacun travaille pour les autres et tous les autres couvrent les besoins de chacun. La division du travail exclut donc l'égoïsme sur le plan économique. La tâche de la science de l'économie deviendra d'extirper tout égoïsme des activités économiques et de pratiquer l'altruisme par pure exigence économique (et non moralisatrice ou religieuse). Poursuivre l'objectif de répondre de manière harmonieuse aux besoins de tous les acteurs (producteurs, distributeurs et consommateurs) se fait par la création d'associations économiques entre eux.
Or, actuellement, la rétribution du travail représentée par le salaire est le résultat d'un marché entre un travailleur vendant son travail et un employeur en faisant l'acquisition. Dans ce cadre, l'homme ne travaille pas pour les autres mais prioritairement pour la satisfaction de son profit personnel (le salaire).
Et dans certain cas, ces salaires peuvent prendre des proportions énormes par rapport aux besoins réels de la personne. C'est le cas par exemple des patrons de grandes entreprises pouvant toucher jusqu'à 50 fois plus que l'employé ordinaire (aux USA, jusqu'à plus de 700 fois plus !). Les arguments communément admis pour justifier ces montants sont divers : des responsabilités importantes, éviter que ces « top managers » ne partent ailleurs, ... Dans certain cas, lorsque les choses tournent mal comme par exemple lors de banqueroutes (dues à un manque de responsabilité ?), ces patrons partent effectivement mais souvent non sans avoir empoché de plantureux bonus !
L'objectif est de pouvoir remplacer la relation de salaire par la relation contractuelle de partage, concernant la production fabriquée en commun par les dirigeants et les travailleurs.
La production des marchandises se fait en effet par une action conjointe de l'employeur et des travailleurs. Du fait que les rapports juridiques et économiques (associations économiques) seront réglés dans deux domaines distincts et indépendants, le travailleur sera l'associé libre du directeur d'entreprise puisque leurs rapports seront fondés sur la répartition du fruit de leur travail (déterminée juridiquement) et non pas sur une pression résultant de la suprématie économique du personnel dirigeant ou d'investisseurs possédant le capital (celui-ci n'étant plus une marchandise dont on détient un droit de disponibilité illimité simplement en l'achetant, mais dont le droit de disponibilité est limité, car l'usage en est confié au(x) plus capable(s) de le mettre en œuvre dans l'intérêt collectif, aussi longtemps qu'ils sont en mesure de réaliser cette tâche).
La fabrication d'une marchandise crée un rapport juridique entre l'employé et l'entrepreneur du fait qu'elle implique l'intervention de la force de travail et donc des conditions de son utilisation. Ce rapport juridique doit être réglé sur une base démocratique par l'État en toute indépendance des organes de gestion de la vie économique.
De la vente de ces marchandises, le dirigeant reçoit une part, le travailleur reçoit l'autre part. Ainsi, des droits garantissant la quote-part des travailleurs sur les bénéfices de la vente des marchandises sont à établir. Cette quote-part doit être telle qu'elle puisse satisfaire leurs besoins durant la période de temps nécessaire pour créer à nouveau une production de la même espèce. La détermination de la valeur des marchandises à vendre tiendra compte des droits liés au travail. Elle sera fixée par rapport à la durée de leur production.
Voici comment on peut définir cette valeur :
La valeur juste d'une marchandise exprimée par son PRIX se détermine par rapport à d'autres marchandises (et ne peut résulter d'une fixation officielle). Elle sera égale à la contre-valeur nécessaire à la satisfaction de tous les besoins du travailleur et de ceux des personnes qui dépendent de lui (famille, personnes dont il a la charge…), jusqu'à ce qu'il ait créé à nouveau une production de la même espèce.
Qu'est-ce qui peut déterminer une personne à consacrer ses capacités et son énergie à servir la collectivité plutôt que rechercher son intérêt personnel via la recherche du profit ?
La division du travail et avec elle, la mécanisation et la robotisation croissante isolent le travailleur de celui qui utilise le produit de son travail et entraîne une perte d'intérêt immédiat porté au travail. En raison de nos conditions de vie moderne, il nous faut donc admettre la disparition d'une certaine forme d'intérêt pour le travail. Ce vide nécessite d'être comblé par l'apparition d'un autre genre d'intérêt, ce qui correspond à une aspiration sociale réelle et profonde d'une grande partie de l'humanité à savoir, le refus de travailler par contrainte économique mais pour des mobiles plus conformes à la dignité humaine.
C'est par la vie culturelle autonome que l'organisme social tri-articulé veut offrir à l'individu un champ d'expérience directe où il acquiert une connaissance vivante de la société humaine pour laquelle il est appelé à travailler et où il parvient à aimer son propre travail en raison de sa valeur pour la collectivité. Cet amour est comparable à celui qu'apporte l'artiste à la création de ses oeuvres.
Une vie culturelle autonome crée des intérêts qui replacent le travail (et tout autre activité) dans un contexte communautaire et de ce fait lui donne un sens et une finalité. Ce sont ces forces nouvelles qui prendront le relais de l'appât du gain comme stimulant à la vie économique. L'accroissement du capital ne sera plus l'objectif immédiat et primordial mais apparaîtra comme conséquence d'autres objectifs. La passion du gain n'est pas une qualité inhérente à la nature humaine, mais résulte de la subordination de la vie culturelle à l'État et à l'économie.
A côté de l'apport de ces forces nouvelles, l'intérêt personnel du travailleur se transforme en intérêt social pour la communauté car il coopère à la constitution d'une vie juridique autonome où les hommes se rencontrent sur un pied d'égalité absolue.